D'OU VIENT L'ARGENT ?

Cette question un peu naïve, je l’ai entendue posée par  une auditrice de Nicolas Demorand, sur France Inter un matin de l’automne 2008. Alors que François Fillon avait déclaré quelques mois plus tôt, être à la tête d’un Etat en faillite, le gouvernement annonçait un plan de 20 milliards d’euros pour recapitaliser le réseau bancaire. "D’où vient l’argent ?" demandait alors cette vieille dame aux experts réunis ce jour là sur le plateau de la matinale. J’ai tendu l’oreille… mais il y eu un blanc.. Personne ne semblait empressé de répondre. Puis il y eu des tentatives, des bredouillages emberlificotés et enfin l’intervention de l’animateur qui sauve la crédibilité de ses invités d’une boutade : «  on voit surtout que c’est compliqué… ».  L’auditrice n’a pas eu sa réponse, nous non plus.

Qui fabrique l'argent ? Suivant quel procédé ? Combien y en a t'il ?

Nous nous sommes rendus compte à ce moment là que nous ne savions que très peu de chose sur l'argent qui est pourtant au coeur de nos économies et de nos vies.  Cet argent si rare, après lequel tout le monde court, d'où vient-il ? En dehors d'une vague certitude que l'Etat frappe la monnaie et que la Banque de France a certainement dans ses coffres un équivalent or ou autre qui garantit sa valeur (ce qui est faux), nous ne savions rien.  

Cette situation avait quelque chose d'absurde. Nous manquons de quelque chose dont nous ne ignorons l'origine et comment il est injecté dans la société.  Imaginons comme l'a fait Jacques Duboin il y a pres d'un siècle, que nous faisions visiter notre pays à quelque voyageur venu de l'espace. Devant le désastre, il s'exclame :
- "Mais pourquoi ne construisez vous pas plus de logements pour les sans abris ? Manquez vous de ciment ? Pourquoi n'aidez vous pas davantage les personnes agées, les malades et les plus faibles d'entre vous ? Manquez vous de bras, de lits ou de nourriture ? 
- Rien de tout cela, nous manquons d'argent !" lui répondez vous
- "Mais qu'est ce que c'est ?" 
 Et devant le billet de 20 euros que vous sortez de votre portefeuille, il ouvre de  grands yeux:  
-"...mais c'est un bout de papier avec des chiffres dessus !?? Et qui les fabrique ?
-Ben c'est nous... "

Vous imaginez la perplexité ce voyageur devant la situation ubuesque dans laquelle nous sommes : il ne nous manque rien d'autre que des rectangles de papiers imprimés pour mettre en oeuvre les ressources humaines qui sont disponibles dans notre société mais qui sont bloquées par le manque d'argent.  Car aujourd'hui, c'est ça l'argent. Un bout de papier imprimé qui nous sert d'unité de mesure pour produire et consommer. Alors nous manquons d'unité de mesure ? 
C'est aussi absurde que de dire que nous manquons de centimètres ou de litres. Ce qui est encore plus fou c'est de se dire que nous avons parfaitement intégré le fait qu'il n'y ait pas d'argent sans remettre en cause ce postulat. Notre ignorance sur le sujet est renforcée par l'absence de débat et l'idée d'un stock d'argent métal limité, qui imprègne encore les représentations monétaires. 
La question de l'argent n'est pas enseignée à l'école et elle est absente des discours politiques, sauf pour dire qu'il n'y en a pas, ce sur quoi ils sont au moins tous d'accord.



De ce fait, nous sommes alors bien obligés d'interpréter la monnaie et toutes les réalités économiques qu'elle implique avec ce flou artistique sans arriver à cerner le fond du problème. De plus, l'argent est relié à tous un corpus d'idées morales, religieuses, sociales qui sont imbriquées dans notre inconscient collectif et influencent notre vision du problème. Quand on dit qu'il n'y a plus d'argent, on pense à la pénurie de métal d'or ou d'argent qui servait autrefois de monnaie, bien que cela n'ait plus aucun sens aujourd'hui. Quand on parle d'imprimer de l'argent, l'image des brouettes de billets qui ne valent plus rien dans l'Allemagne des années 20, nous vient rapidement à l'esprit comme quelque chose d'interdit, de dangereux. Il y a une méfiance envers le procédé, qui est pourtant bien celui utilisé actuellement par les banques. De même sur la dette, des proverbes et adages conditionnent notre pensée, par exemple "qui paye ses dettes s'enrichit". 

Il parait aussi évident que l'emprunteur doive rembourser au prêteur. C'est un principe moral. Mais considérons maintenant qu'un groupe privé se soit approprié la planche à billet et puisse imprimer légalement de l'argent. Ce groupe est indispensable au bon fonctionnement de l'économie car les hommes ont besoin de ces unités de mesure pour leurs échanges et il est le seul à pouvoir en créer. L'argent créé ex nihilo par ce groupe est il vraiment sa propriété ? A quel prix doit-il être prêté à la société ?  Si le coût de cette monnaie en vient à étrangler les usagers par l'austérité qu'il implique, l'argument que toute dette doit être payée tient-il toujours ?

Et quel est ce groupe, cet émetteur de monnaie ? Fonctionne-t-il suivant des règles démocratiques ?  Est il élu ? Choisi ? Autoproclamé ?

Nous avons fait quelques recherches et découvert des analyses de la crise très différentes de celles faites par les médias. Une école dissidente, informelle, dans le sillage de Keynes, place la question de la monnaie au centre de la crise. Elle regroupe des écrivains, des économistes, des anthropologues, des philosophes et des citoyens mais curieusement peu de politiques. Le traité de Lisbonne, passé en force en 2007, a consacré la Banque Centrale Européenne, indépendante du contrôle parlementaire, comme clef de voûte du système monétaire européen. Les gouvernements n’ont plus leur mot à dire en ce qui concerne la création de monnaie. Les politiques ont presque tous accepté cet état de fait et la "privatisation" d'un secteur aussi important que celui qui a pour mission de fabriquer de l'argent, ne choque plus personne. 

Dans la réforme du capitalisme que (presque !) tout le monde souhaite voir se réaliser, les hommes et les femmes que nous avons rencontrés, amènent un éclairage différent. Ils ont été souvent boycottés par leurs pairs et tenus à l’écart des centres de pouvoirs. En matière d’économie les thèmes repris par les médias ne changent guère. Chômage, déficit budgétaire et inflation… Parler du mécanisme pourtant relativement simple par lequel est créé l’argent serait une chose trop compliquée ou qui n’intéresse pas les spectateurs. Peut-être. Pourtant le « Manuel d’anti-économie » de Bernard Maris  s’est vendu à près de 100 000 exemplaires et le film de Paul Grignon, « L’argent dette », a été vu par plus de 3 millions d’internautes dans le monde.  

Nous faisons le pari que les spectateurs nous suivront dans cette plongée au centre de la finance, là où se fabrique l'argent, la dette et au final... la crise...